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La propriété intellectuelle et la génomique : La loi des brevets pour ou contre la loi de la nature ?

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Avant même de se poser la question à savoir si son invention est suffisamment nouvelle et inventive pour être brevetable, l’inventeur doit d’abord s’assurer que celle-ci se rattache à une catégorie d’invention prévue par la Loi. Ainsi, une simple idée n’est pas directement brevetable.

L’invention doit posséder une « forme pratique » qui est une solution technique à un problème concret. Par exemple, un brevet ne peut généralement pas être octroyé pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques comme les phénomènes naturels et les lois de la nature.

Cette dernière exclusion touche particulièrement les inventions issues du secteur des biotechnologies où selon les pays des différences législatives importantes existent sur la matière brevetable prévue par la loi. Un exemple marquant est la possibilité de breveter une méthode de traitement médical aux États-Unis, alors que de telles méthodes sont considérées comme non prévues par la Loi dans une majorité de pays, dont le Canada. Même constat concernant la matière vivante, où la jurisprudence canadienne a établi une distinction entre les formes de vie inférieures, comme les bactéries et les virus modifiés génétiquement (satisfaisant aux critères légaux) et les formes de vie supérieures, comme les animaux et végétaux transgéniques (ne satisfaisant pas aux critères légaux). Cette distinction n’existe pratiquement pas en droit américain qui considère les organismes multicellulaires non-humains et non présents dans la nature comme étant de la matière brevetable.

Mais qu’en est-il des gènes, cette entité chimique contenant la recette de toutes formes de vie, tant inférieure que supérieure ? Là encore, ce ne sont pas tous les pays qui s’entendent sur son inclusion en tant que matière brevetable.

 

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L’essor actuel de la médecine personnalisée dans le domaine des biotechnologies a stimulé bon nombre de recherches, tant académiques que privées, sur l’information dissimulée dans les gènes. Il en découle qu’il existe déjà des milliers de brevets pour des gènes.

L’argument majeur communément cité contre le brevetage des gènes est le fait qu’un gène ne puisse pas être une invention, puisqu’on le retrouve dans la nature. Mais en général, un gène est considéré comme une invention nouvelle dans la mesure où il a été isolé en laboratoire.

 

Cependant, un brevet sur un gène confère à son détenteur un monopole pratiquement absolu pouvant susciter certaines inquiétudes étant donné qu’un tel brevet serait impossible à contourner pour arriver au même résultat sans utiliser le gène en question. Ainsi, les compagnies détentrices de tels brevets peuvent exiger des droits à tous tiers parties voulant faire des tests diagnostiques sur les gènes brevetés.

Toutefois, depuis juin 2013, le brevetage des gènes n’est plus reconnu aux États-Unis. En effet, la Cour suprême américaine a jugé que les gènes, mêmes isolés en laboratoire, sont en fait des créations de la nature et donc non brevetables. Pour être considéré brevetable, le gène devrait également avoir été modifié en laboratoire. Cette décision a été rendue en réponse à une poursuite contre la compagnie Myriad Genetics, qui détient des brevets sur les gènes qui déterminent la prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire ; les gènes BRCA1 et BRCA2 (Association for Molecular Pathology c. Myriad (13 juin 2013)).

Or, cette décision de la Cour suprême américaine a des répercussions importantes sur les brevets portant sur diverses séquences génétiques qui ont déjà été accordés par le U.S. Patent and Trademark Office (USPTO).

Par exemple, des décisions concernant des méthodes de diagnostic sont survenues suite à la décision Myriad et basées sur cette décision, notamment :

  • Mayo c. Prometheus (mars 2012) invalidant un brevet sur un procédé d’optimisation de l’efficacité thérapeutique d’un traitement d’un trouble gastrointestinal à médiation immunitaire ; et
  • Ariosa Diagnostics, Inc. c. Sequenom, Inc. (Fed. Cir., juin 2015) invalidant un brevet sur un test prénatal non-invasif détectant l’ADN fœtal dans le plasma ou le sérum maternel.

 

Ainsi, l’USPTO a publié de nouvelles directives mises à jour en Juillet 2015, pour tenir compte de ces décisions, et rendant très difficile la protection de la PI sur les découvertes liées à la génomique humaine. Cette directive est publiée à l’adresse suivante.

De telles exclusions à la brevetabilité des gènes ne se limite pas qu’aux États-Unis. Une décision similaire a été rendue contre les brevets portant sur les gènes BRCA1 et BRCA2 de Myriad Genetics en Australie. En Europe, les gènes ne sont pas brevetables, mais un élément isolé comme la séquence partielle d’un gène, si elle est produite par un nouveau procédé technique, peut constituer une invention brevetable.

 

Qu’en est-il du Canada ?

Pour l’instant, des brevets sur les gènes sont toujours délivrés au Canada. La Cour suprême du Canada ne se prononcera sur cette question que si des hôpitaux ou des laboratoires lancent une poursuite, comme aux États-Unis, dans le but d’invalider les brevets sur les gènes. Une telle éventualité pourrait survenir dans un futur rapproché.

À ce sujet, le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) a déposé en novembre 2014 devant la Cour fédérale du Canada un recours contre les détenteurs d’un brevet sur les gènes qui causent un trouble cardiaque rare, le syndrome QT long (voir ici).  Il s’agit de la première cause déposée au pays pour déterminer s’il convient de breveter des gènes humains. Nous suivrons l’évolution de ce dossier avec attention.

 

L’émergence de nouveaux développements en biotechnologie apporte son lot de controverses et d’enjeux éthiques. L’inclusion des gènes en tant que matière brevetable n’y fait pas exception. Le brevetage des gènes n’est plus reconnu aux États-Unis, alors qu’au Canada, le brevetage se retrouve dans une situation précaire. La situation pourrait changer si la Cour suprême du Canada prenait une décision claire à ce sujet dans le futur.

 

Invitation

Pour obtenir de plus amples informations sur le sujet, en tant que membre exécutif du Licensing Executive Society, je vous invite à assister à un panel de discussion regroupant des experts du domaine. Cet événement lunch & learn intitulé « La PI et la Génomique » aura lieu chez Génome Québec, le 9 mars 2016. Pour vous inscrire.

Vous pouvez également nous contacter directement pour toutes questions en matière de brevetabilité et pour obtenir des conseils sur la propriété intellectuelle à : info@brouillette.ca ou remplissez directement le formulaire suivant pour une consultation gratuite.

 

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